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3 août 2009 1 03 /08 /août /2009 15:01
"Pour moi ce sera une entrecôte avec la garniture de frites s'il vous plait, annonçai-je nonchalamment.

-Et Madame a t-elle fait son choix?" enchaîna rapidement le serveur de la petite brasserie.

Décidément ces garçons s'immisçaient toujours trop tôt dans la conversation pour venir prendre commande, les hostilités avec les cacahuètes touchaient à peine à leur terme qu'il fallait livrer la prochaine bataille culinaire. D'autant plus que Sandrine, comme à son habitude, se débattait avec un dilemme cornélien dès lors qu'elle se confrontait à un choix, aussi simple qu'il puisse paraître; comme trancher entre la robe noire ou rouge et pour des choses plus sérieuses comme me quitter ou rester avec moi... Depuis quelques temps, notre relation flirtait dangereusement avec le rail de sécurité, le véhicule de notre histoire n'attendait plus qu'une sortie de route hasardeuse après quelques dérapages incontrôlés. Ce  fâcheux constat ne me causait pas une grande peine, notre amour se résumait plus à une chronique du vide affectif, entre deux personnes trop seules. Dès les premières lignes de notre "romance", je savais pertinemment que le livre de nos amours ne s'emcombrerait pas de pages langoureuse et romantiques. Elle recherchait une épaule sur qui se reposer, j'envisageais un remède contre ma mélancolie.


Depuis cet horrible accident, je n'avais plus goût à rien; la moindre parcelle de bonheur se consumait mécaniquement sous mes pieds, le beau devenait banal dès lors que je l'approchais, la légèreté s'affaissait naturellement sous la chape de plomb de la gravité. Toutes ces nuits d'insomnies cauchemardesques, je revivais ces horribles instants; je sentais encore la chaleur vivace des flammes gagner le bas de mon corps, les cris désespérés de ma femme et de mon enfant me hantaient toujours. Pourquoi moi? Pourquoi avais-je été épargné? J'étais probablement le plus mauvais de nous trois, une petite vermine sans âme comme moi avait survécu, la seule partie potable de mon existence résidait dans l'amour que je portais à ma petite vie de famille bien rangée. Dès lors, je n'ai plus eu la force de chercher à nouveau une âme soeur et mes quelques aventures s'étaient auto-détruites au stade embryonnaire. Sandrine, une gentille bonne femme au demeurant, n'avait rien de précis à se reprocher, mais comme toutes les autres depuis la seule et unique, elle  se présentait comme un fruit sans saveur. Mon emploi de gardien de musée me poussait à me hisser hors du monde du sommeil, chaque matin de cet interminable châtiment quotidien. Je travaillais dans une petite galerie d'art, plutôt mineure pour la masse de touristes qui visitait le lieu à la va-vite. Mais pour moi, avec le temps, elle était devenue ma galerie, ma propriété intellectuelle. Je connaissais le moindre rayon de lumière de chaque paysage, j'avais donné vie à tous les personnages venus habiter ces tableaux, je faisais survivre les peintres les plus obscurs à travers mon savoir. La vie n'avait pas réussi à oxyder la beauté de la peinture.

"Mais tu m'écoutes?" lança Sandrine dans une plainte typiquement féminine.

 

Sandrine transportait également dans ses bagages son lot d'histoires délicates; parmi les quelques discussions sérieuses que j'ai pu avoir avec elle, j'appris qu'elle avait eu un fils, bien trop jeune, avec une relation d'un soir. Un vestige de "son autre vie" comme elle aimait à me le dire. Sandrine, par peur de ne pas assumer sa maternité et sans doute par envie de continuer une vie d'insouciance, décida d'accoucher de ce petit morceau de vie sous X. Bien des années s'écoulèrent et les démons de la quarantaine la rattrapèrent, elle s'était résolue à retrouver l'enfant qu'elle avait mis au monde. Sandrine vivait seule, plus de famille aussi, ce fils inconnu concentrait ses espoirs de renouveau affectif. Entre deux bouchées d'entrecôte, elle me confia avoir retrouvé sa trace, brutalement, sans aucune transition. Tout ce temps, ils avaient vécu dans la même ville, j'appris dans la foulée que ce jeune homme suivait des cours d'histoire de l'art à la faculté et se dénommait Alain. Sandrine était partagée entre la folle envie de retrouver cette part d'elle-même et par une peur viscérale du rejet, son fils n'était probablement pas au courant de son abandon passé, sa réaction pouvait se révéler explosive. Sandrine n'aimait pas les conflits, elle les avait fuit toute sa vie. Cette journée exhalait un parfum particulier et palpable, celui de ces instants cruciaux de la vie; un faux-pas et toute une vie qui prend un chemin différent, vingt années de meublage affectif pour arriver à cet instant clé. Sandrine était assise dans la salle d'attente du jour le plus important de son existence chaotique. Encore fallait-il qu'elle réussisse à franchir le pas de la porte, je la sentais bien fébrile.

 

Je gardais peu de souvenirs précis de ce repas, présent sans être vraiment au rendez-vous, mes pensées se perdaient dans la brume des nuages de fumée. Ma vie, attentiste, s'écrasait sous ce mégot de cigarette. Mon attention se focalisait bêtement sur mon morceau de viande, mon cerveau déserté de toute pensée constructive et cohérente se reposait sur ses fonctions primales. Les paroles de Sandrine se mélangeaient au vacarme ambiant pour former un espèce de marasme auditif indescriptible.

"Nous deux, ça mène nulle part non?" me regardai-je alors penser à haute voix.


Sandrine n'esquissa qu'une moue perplexe en guise de réponse, certains silences valent toutes les paroles du monde. L'accord fut tacite mais nos chemins se séparèrent devant l'enseigne du petit restaurant, notre rupture arriva sans plus de remous. Sans rancune, elle s'éloigna dans la rue opposée, m'adressa un signe de main machinal et se perdit dans le flux de piétons. Elle venait de sortir de ma vie, un poids en moins soupirai-je intérieurement. Le repas n'avait été ni trop long, ni trop court, j'avais juste le temps de me rendre au musée pour accomplir mon après-midi de service. Tout se colorait de gris autour de moi : les manteaux, les écharpes, les voitures, le ciel, les facades, le trottoir... tout ce gris au fond de moi. J'entrai dans la chaleur bienfaisante de ma bonne vieille voiture, lançai un coup d'oeil au rétroviseur pour contempler ce type paumé avec sa grosse barbe noire. La fin de la journée s'annonçait plutôt tranquille, les touristes venaient surtout visiter le musée lors des weeks-ends ou pendant les grosses affluences estivales. En ce mauvais mois d'hiver, le musée accueillait largement plus de tableaux que d'âmes humaines. Cependant, j'avais eu vent le matin même, de l'arrivée d'un groupe d'étudiants en histoire de l'art pour le début d'après-midi. Leur professeur, la  folklorique Baronne, faisait office de guide; je n'aurai qu'à faire acte de présence et prendre une mine renfrognée pour effrayer les jeunes filles, pensai-je en me garant sur le parking du personnel.

 

Le parking brillait par la multitude de places laissées libres, à l'exception de la voiture du guichetier, ancré depuis toujours sur les lieux. Celui là, il était toujours arrivé avant tout le monde, réglé comme du vieux papier à musique; il m'agaçait plus qu'autre chose, les années réverbéraient toujours plus péniblement sa maniaquerie, son austérité de vieille bique et son regard sévère de père la morale, Il me sortait par les trous de nez depuis des lustres. Entré dans le musée, je constatais sans surprise que cette vieille chouette se tenait déjà en place derrière son poste. Nous nous échangeâmes quelques froides politesses et je me dirigeai vers le petit vestiaire du personnel pour me glisser dans mon costume de gardien de musée, dans ce petit ensemble bleu marine qui me donnait un peu d'importance et un semblant de statut. Je profitais de ces quelques instants de calme avant l'arrivée bruyante de ces gamins pour le cours d'histoire de l'art dirigé par la Baronne. Elle ferait un beau couple avec le guichetier, la mère Baron; même caractère de vieux monastique. Dans le fond, elle possédait pourtant quelques qualités, elle m'avait même recommandé au patron pour obtenir ce poste. Je lui devais le peu de motivation restante pour me lever chaque matin et aller au travail avec un certain plaisir, quelque part elle me sauvait la vie.

"Ils arrivent" m'annonça l'antique bourrique guichetière.

 

Comme si je ne les avais pas vu, gros nigaud. Le groupe d'élèves s'entassait déjà devant l'entrée du musée, dans la cohue générale. Pour fuir ce vacarme amplifié par l'acoustique du gigantesque lieu, je pris la direction de l'aile opposée du musée pour profiter pleinement des salles isolées et silencieuses. Peu de visiteurs s'attardaient dans cette petite salle qui me servait de refuge, elle pouvait leur paraitre sombre et inhospitalière, moi je l'aimais. Je l'avais élevé au rang de sanctuaire lors de grosse montée de spleen ou quand je souhaitais profiter d'un peu de tranquillité. Les tableaux de paysages désertés de toute âme vivante, hormis celle du peintre, accueillaient mes pensées les plus noires; les fantômes de mes pensées venaient se perdre au milieu de ces criques romantiques ou de ces marines languissantes, ces décors devenaient une corbeille aux idées noires. J'appréciais fondamentalement mes tableaux, mon musée et mon métier pour ces instants de calme absolu; le contact humain, lui, me terrorisait. Puis, les voix des étudiants baissèrent d'un seul coup, certainement par la grâce de l'autorité de sa majesté la Baronne. Le calme revenu, je revins sur mes pas et m'approchais discrètement du groupe d'étudiants pour voir de quoi il en retournait plus précisément, et par la même occasion pour passer un peu de temps car l'après-midi s'annonçait aussi imperturbable que toutes ces peintures figées. Apparemment, je n'étais pas le seul à être ici pour faire passer le temps, les explications sans fin de la Baronne avaient vaincu nombre de jeunes enfants. Quelques années avant, j'étais assis à leur place, à m'ennuyer devant la sempiternelle ritournelle de la Baronne, à me moquer de ses tics verbaux. Toute cette époque me paraissait si lointaine, j'avais l'impression de m'empêtrer dans ma troisième vie en plus de quarante années d'existence; jeunesse, mariage, veuvage. Comme j'enviais l'insouciance de ces jeunes, je désirais tant revenir sur cette époque dorée, ressentir la joie simple de cette époque. Ce temps où je me sentais tellement vivant, ces petits moments faits de rien comme caresser la main de ma femme, sentir l'odeur de ses cheveux, la douceur de sa peau... Tous les soirs, je priais pour me réveiller de ce mauvais rêve et chaque matin je me maudissais d'ouvrir les yeux sur cette vie de damnation.


Le patron du musée s'était déplacé en personne aujourd'hui, le fait demeurait assez rare pour être souligné. Il s'affiliait à cette caste des nouveaux riches construits eux-même, il vivait pour l'argent et l'argent le faisait vivre, on ne pouvait dissocier l'un de l'autre. Il surpassait le guichetier dans mon échelle personnelle du mépris, dieu sait pourtant que le guichetier se perchait déjà sur les ultimes barreaux de cette échelle. Le chef n'avait pas débarqué pour rien, il ne s'affichait pas avec le commun des mortels pour venir discuter peinture avec nous; quelque chose de plus sérieux devait certainement se tramer, tout cela ne sentait vraiment pas bon, j'étais assailli par ce mauvais pressentiment qui précède les grandes catastrophes. Après avoir échangé quelques mots avec la Baronne, il vint m'aborder comme un cheveu sur la soupe, j'ai d'abord cru qu'il allait passer devant moi sans dédaigner m'adresser la parole; ce surcroît d'attention inhabituel renforça mon inquiétude, la discussion s'enclencha sur des banalités de circonstance, des courbettes de langage hypocrites. Je devinais qu'il prenait la température, tournait autour de sa proie comme un rapace et j'attendais le moment fatal de son attaque. Il porta le premier coup au bout de quelques minutes lorsqu'il aborda la question de mes absences régulières, j'eus droit à l'écueil sur la nécessité d'avoir un employé fiable sur qui compter, sur la machine qui s'enrayait dès qu'un élément indispensable ne fonctionnait plus correctement... en effet, j'avais débloqué plus que de raison ces derniers temps, j'étais souvent resté cloîtré chez moi parce que je n'avais envie de rien tout simplement. Juste dormir pour oublier pendant quelques heures.

 

"Qu'est ce qu'on va faire de vous mon pauvre Michel?, soupira-t-il avec dédain.


- Je sais pas. Ecoutez faites comme vous voulez moi je vais voir si les jeunes ont pas besoin d'aide." répliquai-je sur le même ton désagréable.


Et je lui tournais brutalement les talons, exaspéré. Je commettais un acte totalement suicidaire, j'en étais parfaitement conscient mais une folle bouffée de fierté m'envahit à cet instant. J'abordais alors un des rares étudiant encore resté dans la galerie principale, englouti dans un de ces grands paysages de ruines. Son air inquiet combiné à son visage de jeune biche égarée m'amusèrent, j'engageais la conversation par une allusion douteuse à deux personnages étrangement enlacés dans le fond du tableau, ce qui le fit rire. Je ne me souviens plus tellement du début de conversation, sans doute que j'ai commencé à lui parler de peinture. J'ai très certainement dû lui faire part de mon goût pour la peinture de Picasso, pour l'impressionnisme; pauvre gamin je l'ai barbé avec mes envolées de peintre à deux sous. Comme je le sentais en difficulté pour son exposé, je lui donnais quelques pistes de recherche. Je voyais très bien qu'il notait la moindre de mes réflexions avec une application extrême mais ce petit me touchait, impossible de savoir pourquoi réellement, peut-être que je me retrouvais en lui; il me rappelait le temps où moi aussi, j'allais en cours avec la Baronne et stressais à m'en rendre malade. Ma jeunesse se trouvait devant moi sous les traits de ce gentil garçon, comme une réminiscence de ma première vie antérieure. Et la discussion dévia imprévisiblement; le sujet premier de la peinture s'était éclipsé, les tableaux s'étaient mués en simples oreilles attentives à nos paroles. Je lui racontais quelques anecdotes du bon vieux temps des cours de Madame Baron, des blagues potaches qu'on se faisait entre copains; l'évocation de ces quelques souvenirs me mit du baume au coeur, je me surpris même à rire avec ce gosse en imitant la fantasque baronne. Ce petit homme ne le savait pas mais il venait d'accomplir quelque chose d'extraordinaire, quelque chose que je ne croyais plus possible depuis bien longtemps : il m'avait fait oublier. Juste quelques minutes, je n'ai pas songé à ma femme, à ma fille qui me manquent tellement, j'ai desserré cette boule qui me comprimait constamment l'estomac depuis des années. Sur le moment, j'éprouvais une sensation de remords assez dérangeante. D'ailleurs, je lui avais fait part de mon histoire personnelle, sans réfléchir, la confidence était naturellement tombée; je sentais une oreille attentive à mes problèmes et il me confia quelque chose qui me bouleversa profondément, je lui rappelais son père décédé depuis quelques années. J'ai retenu quelques larmes, montées à l'improviste dans mes yeux. Nous étions des accidentés de la vie, l'alchimie s'était créée certainement sur ce ciment commun, malgré la différence d'âge. Les personnes giflées par le destin dans le passé partagent, je crois, cette triste lueur dans le fond des yeux; et même derrière les grands sourires se cachent une amère ironie. Je n'allais pas tarder à regouter à cette amertume car j'entrevoyais mon patron qui me lançait des regards d'une noirceur assassine, je pris congé de mon nouvel ami, nous nous échangeâmes nos noms et prénoms respectifs car j'avais dans l'idée de vérifier si ce garçon n'était pas le fils de Sandrine. Malheureusement non, il s'appelait Vincent. Il ne me restait qu'à encaisser le savon du grand manitou.

 

Sans tarder, il m'annonça mon renvoi. Froidement. Sadiquement. Dans ses yeux brillait la lumière de la satisfaction. Il cherchait à me renvoyer depuis quelques temps, j'avais été trop bête en me laissant prendre au piège, je lui avais fourni un argument de plus pour me licencier. Pour la dernière fois, je quittais mon costume de gardien de musée, j'abandonnais dans ce casier ma dernière parcelle de vie, ce travail qui portait à bout de bras mon existence; sans lui, plus de lumière mais un vide immense. Le guichetier m'adressa un "au revoir" banal comme il m'en avait adressé tous les soirs depuis des années, tout se terminait dans la monotonie la plus totale. J'arrivais à hauteur de ma voiture et avant de rentrer à l'intérieur, je balayais d'un dernier coup d'oeil mon musée, un lourd soupir s'échappa de ma gorge pourtant nouée par le chagrin et s'envola au gré d'un vent dissipateur de souvenirs; près de vingt années de ma vie disparaissait avec ce soupir. Mais je ne pouvais plus rien faire, j'avais beau taper de toutes mes forces sur le volant et hurler comme un forcené, le silence seul me fit écho. Le trajet du retour s'engluait dans une inquiétante étrangeté, plus aucune pensée ne me traversait l'esprit, comme mort de l'intérieur je passais les vitesses machinalement, m'arrêtait au feu comme un automate bien réglé, même les musiques de mon poste-radio ne faisait plus sens. Les mélodies s'enchaînaient, toutes plus insipides les unes que les autres.

"Oh it's such a perfect day, I'm glad I spend it with you. Oh such a perfect day, you just keep me hanging on..."

 

Si le néant pouvait être palpable, il se résumerait à ces quelques minutes que j'ai passé dans les embouteillages. Après ce moment intemporel, j'arrivais devant le palier de mon appartement, seul mon vieux chat me salua d'un triste miaulement; j'étais un fantôme inconnu prêt à hanter ces lieux pour l'éternité. Chaque parcelle de cet endroit me rappelait un moment vécu avec ma famille, ce vieux canapé m'évoquait les jeux enfantins de ma fille, ces moments d'insouciance qui se résumait à "Trois p'tit chats, trois p'tit chats, trois p'tit chat, chats, chats" ... La chambre à coucher exhumait inévitablement ces folles nuits d'amour ou simplement ces longues nuits à parler de tout et de rien, blottis l'un contre l'autre. Aujourd'hui, il ne subsistait que des visions du passé. Toute ma vie actuelle se résumait à mon chat et le tableau qui surplombait la cheminée du salon, ce tableau valait un bon paquet d'argent, mon père me l'avait légué à sa mort; d'après ce qu'il m'avait confié, je pouvais en tirer facilement un ou deux millions de franc de l'époque. Cependant, je ne m'étais jamais déterminé à le vendre, tout comme je n'avais jamais quitté mon appartement, même après l'accident. Ils matérialisaient tous les deux des vestiges d'une valeur sentimentale inestimable, le dernier lien avec ceux que j'aimais plus que tout se conservait dans cet appartement et cette peinture. Seule la mort pourra m'en séparer. Plus les heures poussaient les aiguilles, plus le silence se faisait oppressant; ma vie allait donc se résumer à ces tristes soirées muettes et sans âme? Non impossible. La décision se fit naturellement, sans vraiment réfléchir, elle jaillit comme une évidence; il fallait en finir une bonne fois pour toute, j'avais accompli tout ce que j'avais à faire dans cette vie et plus personne ne m'attendait. Je m'armais d'un stylo et décidais d'écrire quelques mots d'adieu et mes dernières volontés, je me rendis très vite compte que je n'avais rien de particulier à dire. Personne à faire pleurer, personne à qui dire au revoir, personne à qui m'excuser. Ma lettre testament ne dépassait pas les deux lignes et franchement ma vie n'en valait pas plus, je griffonais donc d'un peu de noir ce papier vierge sans m'attarder sur le style ou le fond, un pompier se foutrait bien royalement de mes dernières envolées lyriques. Je laissais le tableau au petit Vincent que j'avais rencontré cet après-midi à la galerie du musée, il pourrait gagner pas mal d'argent avec la vente. Il fallait le faire maintenant, le silence envahissant de mon appartement m'aida à prendre la fuite, il fallait prendre congé de cette grisaille permanente pour aller vers quelque chose de meilleur. Une corde, un tabouret et un crochet, il n'y avait pas besoin de plus; toute cette simplicité pour arrêter tant de complications. La vieille horloge du salon faisait tourner le temps au rythme des battements de mon coeur, bientôt les aiguilles prendront le dessus et elles seules continueront de tourner. Je me raccrochais à ce que m'avait dit mon père sur son lit de mort :

"Ne sois pas triste pour moi car je vais passer ma mort à revivre les plus beaux moments de mon existence et mon esprit se perdra dans l'infini de ces moments de bien-être"

Je pense qu'il avait raison, je ne m'étais jamais senti aussi bien que durant ces quelques minutes où je sentais tous mes problèmes s'échapper doucement de mon corps. Le bonheur absolu.






"Je gardais peu de souvenirs précis de ce repas, présent sans être vraiment au rendez-vous, mes pensées se perdaient dans la brume des nuages de fumée. Ma vie, attentiste, s'écrasait sous ce mégot de cigarette."
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