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2 juin 2010 3 02 /06 /juin /2010 15:34

 

Elle le regardait dormir depuis presque une heure déjà, il semblait si paisible maintenant; un léger souffle rythmait tranquillement les montées et descentes de son torse. Une - deux - une - deux. Parfois, les respirations se faisaient plus intenses pour retomber brutalement dans un calme absolu, ne régnaient alors qu'un silence assourdissant et les quelques bruits lointains de l'extérieur. Elle aimait ces moments de solitude, seule dans la semi-pénombre du matin; spectatrice du temps qui passe et des détails insignifiants. Durant ces quelques minutes, elle possédait les choses, les maîtrisait : ses inspirations à lui, la mobylette qui passait toujours à six heures précises, le basculement monotone des aiguilles de la grande horloge. Une - deux - une - deux. Il ressemblait à un petit garçon; un léger sourire, presque imperceptible, animait son visage. Etait-ce de la satisfaction, du vice, le bonheur, un rêve idiot?

"La satisfaction du vice, le bonheur est un rêve idiot"

Elle pourrait être sa mère, elle n'avait jamais eu d'enfants et n'en avait probablement jamais voulu. Alors pourquoi s'être embarquée avec lui? Par folie peut-être, elle arrivait à ce moment bizarre de la vie où la seule chose qui lui triturait l'esprit était de tout foutre en l'air, dire merde à tous et à tout. Lui, il avait grandi dans la merde. Des parents inexistants, pas d'argent, pas de travail, une enfance passée à regarder des films avec des mecs aux gros bras; probablement qu'il trouvait en elle un semblant de modèle maternel et de douceur féminine diront les psychanalystes de comptoir. Ils se sont trouvés pour former cette espèce de symbiose parasitaire, voila tout; chacun se nourrissait des restes d'humanité de l'autre, leur survie résidait dans cette union improbable. Il était son chemin de croix, elle était le boulet qu'il s'attachait joyeusement au pied chaque matin. Il dormait toujours, encore libre de ses chaînes quotidiennes, loin de tout. En revanche, elle, semblait déjà happée par le flot des soucis de la journée à venir, elle tentait tant bien que mal de calquer sa respiration sur celle de son homme endormi lourdement. Impossible, son coeur boxait de toutes ses forces sa poitrine, une - deux - une - deux. Ils avaient dérapé la nuit dernière, l'histoire leur avait échappé des mains, ils avaient franchi le cap de non retour. Au lever du matin, rien ne pourra plus jamais se passer comme avant, finies les promesses illusoires de bonheur : les "On s'en sortira, t'inquiète" s'étaient évaporés en quelques secondes.

"Serrer les poings et essayer de retenir les choses. Tout glisse, tout glisse tellement vite"

Il n'avait pas encore ouvert les yeux sur cette journée mais son esprit avait refait surface depuis quelques minutes, il savait qu'elle le regardait dormir. Elle faisait toujours ça. Il tentait de profiter des dernières lueurs de sommeil, en fermant les yeux encore plus fort, il arriverait peut être à retourner dans son rêve. Dans un monde parfait, il aurait cligné des yeux puis se serait réveillé dans une nouvelle vie idyllique. Mais impossible de faire peau neuve ici, la crasse lui collait à la peau depuis toujours, les taches étaient indélébiles. Les contes de fées où tout s'arrange à la fin, l'égalité des chances, elles lui faisaient un bras d'honneur dans le loin. Encore quelques secondes de répit, les premiers rayons de soleil commençaient à emplir la chambre de lumière, lui chatouillaient le nez. Hier soir, c'était l'odeur du sang chaud que le vent portait à ses narines; une bagarre stupide, le cerveau qui déconnecte et le coup de feu était parti. Un corps et du sang, il avait vu ça des centaines de fois à la télé; l'odeur, la détonation, le goût de la mort, la vision du cadavre, la froideur de l'air l'avaient assommé sur place. Il n'avait pas réalisé l'engrenage qui avait commencé à s'enclencher, les deux grandes roues dentées allaient se refermer sur lui. Il dormait encore un peu, encore quelques secondes d'oubli, une - deux - une - deux.

"Dormir, se perdre soi-même. Tomber dans le néant pendant quelques heures ou pour toujours"


Le silence, lui, elle, tout communiait en une seule et même force, puissante de calme. Un instant précis dans toute l'échelle du temps : avant le chaos indescriptible, après la fin dramatique, mais quelque part entre ces deux extrêmes résidait un infime moment, éphémère, où le cours des choses s'arrêtait, comme pour fixer ce qu'ils ne pourraient jamais vivre. Quelques instants plus tard, un immense coup de pied dans la porte viendrait briser ce tableau figé, l'agitation reprendrait son règne de force. Il avait tué la mauvaise personne, on viendrait se venger, c'était aussi bête et méchant que toute sa vie entière. Inutile de chercher une raison particulière, il avait mené une vie de merde, il finirait comme une merde, la seule logique qui avait bercé sa vie. Un type pointerait son arme entre ses deux yeux, elle crierait de toutes ses forces. Encore quelques secondes, une - deux - une - deux… il n'avait pas quitté son imperceptible sourire : la satisfaction du vice, le bonheur est un rêve idiot. Le vengeur informe allait appuyer sur la détente, une - deux - une - deux... Serrer les poings et essayer de retenir les choses. Tout glisse, tout glisse tellement vite. Une - deux - une - deux, c'était à peu près le temps qu'il avait fallu à ce type pour tirer... Dormir, se perdre soi-même. Tomber dans le néant pendant quelques heures ou pour toujours.

 

 

 

 

Her-Space-Holiday.jpg"mais quelque part entre ces deux extrêmes résidait un infime moment, éphémère, où le cours des choses s'arrêtaient, comme pour fixer ce qu'ils ne pourraient jamais vivre"

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  • : "Le Vent soufflera toujours"
  • : Un blog que je vais alimenter avec quelques textes que j'ai écrit. Pour l'instant je vais me contenter de mettre en ligne certains de mes vieux textes, en espérant que de nouveaux écrits viennent s'y greffer. Bonne lecture!
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  • Je me débats comme je peux dans cette vie là, avec mes petits poings.
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