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18 août 2009 2 18 /08 /août /2009 14:43
Clic.

Le bruit m'avait fait penser à mon vieil antivol que j'accrochais consciencieusement sur mon vélo, du temps où j'étais encore gamin et que crapahuter de partout me mettait le coeur en joie. Faut dire que ces derniers temps, j'avais beaucoup traîné ma carcasse à droite et à gauche, pendant six-cents trente et un jours pour être précis. Dont quatre mois de "liberté" passé à l'hôpital entre quatre murs blancs et les infirmières aux seins laiteux. 

Blessure par balle, touché à l'épaule.

Le bout de ferraille avait traversé comme dans du beurre, quelque chose entre un gros coup d'aiguille et une vieille brûlure de clope, sur le coup j'avais pas trop mal. Quand le sang a commencé à déteindre sur mon uniforme kaki; j'ai commencé à pleurer, à jurer par tous les noms des saints de mon cul que j'avais entendu au catéchisme, à faire mes dernières recommandations à l'inconnu qui tenait sa mitraillette à côté de moi. Sur le front, on avait tous les mêmes trognes cabossées, la guerre ça uniformise les visages, les yeux bleus personne les aperçoit ici; on passe plus de temps à surveiller ses fesses.

"T'inquiètes tu vas pas mourir ducon, tant que je tiens cette putain de mitraillette, y'a pas un boche qui t'enverra au paradis"

Ah il avait pas tort le bougre, Albert je crois ou quelque chose dans le style. Il était arrivé chez nous y'a pas longtemps, le genre exalté et poivrot sur les bords, un peu comme nous tous. Enfin publiquement, on était tous comme lui, histoire de se donner un genre et une certaine contenance. Parce que le bleu-bite qu'a trois poils aux mentons et qui crie haut et fort que la guerre c'est qu'un truc de bête et que, lui, sa fiancée l'attend quelque part... il finit avec du plomb dans le bide et un regard perdu vers ce ciel grisâtre et inconnu. C'est triste c'est certain, mais faut pas trop penser à ce genre d'histoires quand on est plongé dans cette immense cuve à merde. Primo, penser à sauver sa peau, après celle des autres on verra si on peut faire quelque chose.

Aide toi et le ciel t'aidera.

Quand les obus et les détonations frappent tellement fort que toute la Terre en frémit de peur, que les balles pleuvent façon déluge au dessus de ton casque (et y'a pas de parapluie pour ce genre d'orage), quand tes tempes cognent si bruyamment sur ta tête que t'arrives même plus à t'entendre penser; t'oublies facilement de sauver le bleu-bite, Guillaume ou Jérôme, enfin tous ces enfants aux mèches blondes qui ont encore peur dans le noir. A vrai dire, tu penses pas beaucoup quand l'apocalypse vient te siffler dans les oreilles, faut raisonner simple et efficace : vivre. C'est des conneries ceux qui croient qu'on pense à la mort quand on bouffe de la terre entre trois coup de mortier, on est juste des animaux à ce moment précis, le même regard que la vache juste avant de se faire trancher la gorge. La pulsion de vie qu'il disait Freud.

On était des bovins, des bovins sanguinaires.

La pulsion de mort, on se la réservait pour le soir quand on revenait à la caserne avec un tiers de camarades en moins. Lorsque tout redevenait calme et que je faisais l'erreur de trop réfléchir, je pensais souvent à crever. La nuit tombée, quand ça turbine trop vite dans les méninges et qu'on se fait son petit bilan de conscience; on pense à sa famille, à ses vieux amis, à ses belles jambes, mais chaque fois tout se brouillait et je finissais par voir défiler que des gars mal rasés, sales, avec du sang dans la bouche. Alors je prenais mon petit flingue, je le mettais au fond de ma bouche en transpirant très fort. Puis mon doigt s'arrêtait juste avant le clic de la gâchette, pourquoi faire franchement? Me foutre en l'air c'était aussi con que cette guerre.

J'étais une sorte de fouine de la survie, j'allais pas mourir en homme courageux, responsable de ses actes. J'étais plus du genre à marcher derrière et me cacher quand l'action devenait trop dangereuse, je suis pas fou moi.

Je ne suis pas fou.

La guerre était officiellement finie depuis quelques mois maintenant, nous on se promenait encore en Allemagne, au milieu de belles femmes blondes et de vieux décors champêtres colorés façon Goethe et tout le toutim. Enfin je suppose, j'ai jamais lu Goethe mais je me souviens d'un tableau où il posait dans ce style de campagne; la vie était pas trop désagréable à cette époque je crois, pas extraordinaire non plus, une vie neutre sans gros désagrément. Enfin l'armée quoi. On finissait souvent au bordel avec de l'alcool plein les narines. Il parait qu'en France, on avait fêté la Libération comme il se doit, un océan de folie comme on en avait jamais vu, j'aurai bien aimé le voir de mes yeux. Je me contentais de me voir (de voir la France!) dans les yeux des allemands, ils ne nous aimaient pas vraiment, on faisait bien les arrogants faut dire. Moi, ça me rappelle quand ma tante se pointait à l'improviste chez nous et qu'elle gonflait tout le monde avec sa voix haut perchée de vieille commère; je la regardais avec cette même colère sournoise qu'ont les allemands maintenant.

Mais bon je lui disais pas à ma tante qu'elle me cassait les couilles, je la maudissais en silence, on s'y retrouve au final. Ma tante c'était peut être une fräulein, va savoir... Berthe qu'elle s'appelait, j'ai déjà vu des allemandes qui s'appelait Bertha.

Je vais finir en chair à saucisse de Francfort et je me souviens de ma putain de tante! Le clic, c'était pas l'antivol ou une balle, j'ai marché sur une mine. Je suis fait je crois. C'était une manoeuvre de routine comme on en faisait tous les jours, je m'étais mis à l'arrière pourtant, les autres avaient réussi à passer au travers, il a fallu que ça tombe sur moi, sacré bon dieu... Aide toi et le ciel t'aidera c'est ça que je disais?

Maintenant, je sais que je vais probablement y passer et je ne pleure plus, je ne jure plus. Je redeviens Jacques l'être humain, je ne joue plus cette vague comédie pétaradante, je jette mon masque de soldat à terre avec mes armes. Albert n'est plus là pour me protéger avec sa mitraillette, la troupe retient son souffle dans un calme absolu. Le monde s'est arrêté de vivre, il vacille doucement sous les assauts répétés du vent, le bruissement de l'herbe fait frissonner toute la colonne vertébrale du monde; je regarde autour de moi. Tous ces yeux anonymes, ceux de mes amis de galère, prennent une lueur différente à cet instant. Je me souviens maintenant, le jeune aux mèches blondes s'appelait Robert. Je me débarrasse de mes affaires, donne une lettre à Albert, je lui dis au revoir tout simplement car je ne sais plus trop quoi dire. Lui aussi me répond un au revoir d'impuissance, je n'avais jamais fait attention mais sa voix est douce quand il déverse pas sa bile sur l'ennemi. Je demande solennellement aux autres de s'écarter, peut-être qu'avec un bond d'animal prodigieux, j'arriverai à m'en sortir. Je laisserai sans doute une jambe ou deux dans l'histoire, je crois que c'est encore plus moche que la mort. Crapahuter, ça me plaît moi. C'est ma vie, je suis juste bon à me servir de mes jambes pour m'enfuir.

Je ne sais pas si je dois croire en Dieu, le destin et toutes ces affaires un peu trop grandes pour moi... La mine n'a jamais explosé. J'ai attendu quelques secondes, puis j'ai sauté en criant comme une jeune pucelle, la voix rauque en plus, croyant exploser comme une vieille baudruche. Cet intérieur qui n'attendait que ce moment pour jaillir à la face du monde et se libérer enfin. Tout est sorti dans ce cri je crois : mes peurs, l'amour, la violence, la haine, le regret, le courage, la mort et la vie réunies; une purge de sentiments.

Je me pensais mort, quelques brèves secondes j'ai même été mort-vivant...

Je suis vivant.





"On était des bovins, des bovins sanguinaires."
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