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10 août 2009 1 10 /08 /août /2009 15:11
Je n'avais jamais vraiment réalisé à quel point toute mon âme communiait avec ce jardin; autrefois éden paradisiaque, aujourd'hui lieu d'errance et de mélancolie. A présent, j'embrasse pleinement la gravité des lieux, je retrouve la vue après une vie nébuleuse. Ah ces vieux escaliers gris... J'avais posé mes espoirs, mes fatigues, mes peines sur ces vieilles pierres lézardées, cette dalle poussiéreuse renferme ma substance profonde; j'ai déambulé sur ces pierres enfant, adolescent, adulte.

Adulte?

Je suis sorti du doux rêve de l'enfance sur ce perron, trois paroles et le concept douloureux de la vie me frappait terriblement au visage. Je porte toujours la marque du coup, plongez dans mon regard pour le vérifier.

"Elle ne reviendra plus jamais"

Ces paroles résonnent encore comme la sentence impitoyable prononcée à l'encontre d'un condamné à mort. Elle n'avait que neuf ans frappés d'innocence, j'arborais fièrement mes douze ans et demi, chaque mois compte; elle portera ces neuf ans pour l'éternité.

Ces vieilles marches!

Elles avaient amorti ma lourde chute ce jour, je me suis assis instantanément comme écrasé par le poids de la nouvelle; spectateur d'un mauvais rêve, baigné par cette étrange impression de planer sur les évènements, les jambes molles prêtes à s'écrouler sur elles mêmes, le sentiment de ne plus maîtriser ses propres gestes. Une mécanique générale se casse pour tomber dans une passivité abattue. Depuis, je ne peux fouler ces marches sans me retrouver  immergé au coeur de ces quelques heures écoulées à contempler un ciel impassible, le regard vide mais empli de larmes. Sur ce jardin alimenté par la mélancolie du souvenir et l'amertume du regret, ne poussent plus que de folles herbes vivaces.

"Réveille toi" était taggé sur le mur qui surplombait le terrain vague. Le message, présent depuis toujours comme une formule oubliée, prenait toute sa force à cet instant précis. C'est à croire que l'auteur du graffiti détenait le don de voyance et m'avait personnellement adressé le message.

Je ne m'étais pas réveillé de ce mauvais rêve, bloqué dans la prison des fantasmes. J'ai vieilli, en spectateur des années qui passent, chaque avancée dans la ligne du temps m'a éloigné de ma terre natale. J'ai ressenti cet impérieux besoin de prendre de la distance, découvrir de nouveaux horizons pour effacer le passé; alors j'ai oublié mes vieux amis, les confidences enfouies sous la masse des souvenirs, les peines et les joies euphorisantes de l'adolescence se sont évaporées avec la chaleur accablante des étés... Chacun suit son propre chemin et les infinies ramifications de choix qui s'offrent à nous, j'aurais pu connaître cent vies différentes selon les décisions prises mais je n'en expérimenterai qu'une seule. J'ai choisi la facilité, la grande voie toute tracée des choix par défaut : faire des études, trouver un boulot, fonder une famille.

Robot des temps modernes.

Et finalement, l'enfant que l'on a été s'éloigne au large, il nous fait un signe de main au loin puis se perd dans la brume. Mais il ne part pas réellement, il reste tapi dans le fond du décor et nous guette malicieusement.

Je suis un éternel enfant.

Vieillir m'a toujours effrayé, je ne crains pas réellement la mort mais oublier constitue ma réelle hantise; perdre de vue ces rêves d'enfant qui m'ont maintenu en vie pendant toutes ces années, ces espoirs irréalisés et irréalisables, je ne veux pas les enterrer dans un recoin condamné de ma mémoire.

Suis-je fier de ma vie?

Je ne sais pas, je n'ai pas vraiment eu de mérite. Je me suis contenté de reproduire un semblant de modèle patriarcal, mais peut-on parler de mérite? L'animal qui perpétue l'espèce reçoit-il alors les mêmes honneurs?

Je n'ai pas mérité de vivre, j'ai ouvert les yeux sur cette planète sans demander la permission, je fais partie de ces élus qui ont la chance de respirer. C'est fou quand la pensée s'attarde sur ce principe, dérangeant aussi. Vivre tout simplement. Dans l'infini néant de l'univers, moi petite chose insignifiante, j'existe. Je suis doué de pensée, rendez-vous compte. Des milliards d'années auparavant, le noir obscur du chaos domine, la Terre se résume à un gros caillou en feu. Nous crions : "Vive l'an 2000, et bonne année" et six milliards d'âmes illuminent ce désert originel. Quelle est cette force qui nous a insufflé ce besoin viscéral d'exister? Plus que vivre c'est exister qui compte, donner un sens à nos actes, là réside notre mérite.

Aujourd'hui, je ne vis plus. Mon coeur s'est arrêté de battre un matin d'automne, un banal matin avec de la pluie fine sur les carreaux et des feuilles orangées balayées par le vent qui peuplent la cour vide. Je continue d'exister à travers ceux qui ont traversé ma vie, désormais je ne fais plus qu'un avec la terre. Ma Terre, celle qui m'a servi de terreau. Ici, mon fils vient souvent penser à moi, il avait dispersé mes cendres devant ces inflexibles escaliers; j'existe encore un peu grâce à lui. Quelque part entre les orties et ce ciel nuageux, le fantôme de mes souvenirs rôde toujours, prêt à bondir sur la personne songeuse, assise sur ce vieil escalier.

A l'opposite, sur le mur, le tag dit toujours : "Réveille-toi"






"Dans l'infini néant de l'univers, moi petite chose insignifiante, j'existe."
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  • : "Le Vent soufflera toujours"
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  • Je me débats comme je peux dans cette vie là, avec mes petits poings.
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